L’Europe fête ses 60 ans. Je suis né trois ans presque jour pour jour après la signature du Traité de Rome et je n’ai donc connu qu’elle. En ce jour anniversaire, j’aimerais oublier un instant les difficultés existentielles que connaît ma vieille compagne de route et éviter, comme je l’ai fait maintes fois dans mes articles au cours des derniers mois, de dresser des plans sur la comète pour sauver le soldat européen. J’aimerais donc simplement apporter pour une fois une vision tout à fait positive de l’Europe en rappelant quelques éléments personnels qui me lient à elle. Mon Europe à moi, c’est tout d’abord celle que n’ont pas connue mes grands-pères et grands oncles morts ou gravement blessés au cours de la première guerre mondiale.
Mon Europe à moi, c’est celle dont a rêvé mon père, fait prisonnier le 18 juin 1940 et qui noua avec l’Allemagne où il résida près de 15 ans une relation privilégiée qu’il m’a transmise en héritage.
Mon Europe à moi, c’est celle de mes filles et de mes petits-enfants bi- voire trinationaux et multiculturels qui ont la chance de ne connaître de frontière ni dans leur tête ni dans leur cœur.
Mon Europe à moi, c’est celle justement qui a fait disparaître petit à petit ces frontières où j’ai passé des heures à attendre le droit de rentrer chez moi… Mon Europe à moi, c’est celle qui m’a permis de vivre dans cinq pays de l’Union et de me sentir chez moi un peu partout.
Mon Europe à moi, c’est celle qui a fait disparaître une partie de ces enveloppes de devises étrangères qui m’accompagnaient à chaque voyage à travers le continent.
Mon Europe à moi, c’était cette espérance dans la voix et le regard de mes amis des pays de l’Est avant la chute du mur et l’élargissement et cette envie qu’expriment encore aujourd’hui les ressortissants des pays du continent qui aspirent à rejoindre la maison commune. Mon Europe à moi, c’est celle de ces jeunes Erasmus qui découvrent au moment où ils deviennent des adultes qu’il existe autre chose que ce qu’ils ont toujours connu jusqu’alors et qui plus jamais, je l’espère, ne verront le monde avec des œillères.
Ce qui caractérise mon Europe à moi, pour finir, ce sont ces valeurs de démocratie, de liberté, de tolérance, de solidarité que je revendique avec d’autant plus de force que je sais qu’elles ne sont ni universelles ni immuables.
Philippe Gustin
Préfet, ancien ambassadeur
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